Tu ne peux pas parler de la mort. T’imagines ? Et ta promesse d’expérimentations joyeuses, tu en fais quoi ?
La mort, le sujet qu’on évite, tendance à faire comme si ça n’existait pas, comme si ça ne concernait que les autres.
La première fois que j’ai rencontré la mort, c’est quand j’ai voulu mettre un enfant au monde. Avant d’avoir un mort dans mon ventre je n’en avais jamais côtoyé. J’en avais croisé un sur une voie rapide, sous un drap, de loin, il ne m’avait pas paru particulièrement sympathique.
Je ne savais pas grand chose de la perte d’un être cher, j’avais perdu ma grand-mère, et ma grande tante, mais à leurs âges très avancés ça ne m’avait pas choquée, juste créé une absence inconfortable, un vide.
Rencontrer la mort pour la première fois dans mon ventre était une toute autre expérience. Rien ne m’y avait préparée, au contraire, je me voyais déjà avec mon bébé dans les bras, les vacances en famille, les jeux de société, les gâteaux dans le four, les glaces à la plage, les rires et les toboggans géants.
Au lieu de ça un cadavre à “éliminer” au plus vite selon ma gynécologue.
Hier un bébé au cœur battant, aujourd’hui un problème de film de série B : “Que faire du corps ?”.
Hier 10 semaines, “battement normal, on se revoit dans deux mois”, les appels à la famille, l’annonce aux proches, aujourd’hui, 48 heures pour m’en débarrasser, moins de 24 pour me transformer en oiseau de malheur.
Peut on faire le deuil d’un être à venir, un bébé que ni la société ni même le père, ne considère comme tel ?
On ne peut pas. Enfin je n’ai pas pu. Pas toute seule. J’ai eu la chance de tomber sur d’excellents thérapeutes qui m’ont accompagnée, m’ont suggéré de donner un nom à ce bébé parti avant d’arriver vraiment, de prendre au sérieux ce deuil, d’être douce avec moi même, de ne pas tomber dans le piège de m’en vouloir.
Après la mort le néant. Tombée enceinte assez vite après ce nez à nez – ventre à cœur ? – avec la mort, l’espoir renait. Jusqu’à un cauchemar qui me décide à faire une échographie. Le rêve se fait dure réalité, il y a bien une poche, mais pas de bébé dedans. Même pas un mort, rien du tout. Ce jour là j’ai assisté à la mort de cet être capable de faire semblant d’adorer son travail de photographe de mode, de cette personne que j’essayais encore d’être malgré mes voyages, mes formations, mes prises de conscience. J’ai pris des billets d’avion et je suis partie avec mon homme vivre en Inde pour essayer de trouver ce qui restait après le désastre. Pas grand chose. Quelques miettes d’envie de faire changer les mentalités sur la mort, sur la vie aussi, quelques vagues pistes de graines à semer.
Les morceaux de mon âme retrouvés, les liens faits entre les idées, mon premier bébé arrive, très vite le second pour doubler la dose d’amour.
Cette confrontation avec la mort en moi m’a obligée à me réinventer. Il y a un mystère, une magie, un élan qui me pousse à aller plus loin, trouver d’autres territoires de rencontres avec elle. Je m’en ouvre à un chamane de mon entourage qui m’initie au “démembrement-remembrement”. Il s’agit de se faire dévorer et détruire intégralement par ses animaux alliés, expérimenter le fait de n’être rien, aller rencontrer la mort, puis se laisser reconstruire par les mêmes animaux, et parfois d’autres.
Cette expérience a été un tournant radical dans ma vision de la mort. Je l’ai vue sous la forme d’un superbe jaguar noir illuminé d’étoiles sur le flanc droit. Peut être que cela te semble absurde, un peu trop fou ou décalé, pour moi cela a été un moyen d’avoir moins peur, une façon d’apprivoiser la bête.
Après ça j’ai sauté le pas de me lancer dans l’accompagnement de personnes en fin de vie, cela n’a pas duré longtemps car avec les histoires de masques, vaccins et autres obligations j’ai vite dû rendre mon tablier mais je l’ai fait, moi Caroline qui avait peur de la mort, j’ai tenu compagnie, discuté, joué, tenu la main, à des personnes qui s’en allaient.
A une époque où tombent les lois liberticides pour ne pas mourir d’un virus. La peur de la mort prend de l’ampleur et se change en un souci majeur de société, elle vient nous priver des autres, des liens, des voyages, de la vie.
Oser la regarder dans les yeux, pouvoir en parler, briser le tabou, l’omerta, je suis persuadée que c’est une des clés pour transformer le monde.
Alors oui, c’est l’été, tout le monde va à la plage, part en vacances ou voudrait le faire et moi je te parle de la mort. C’est parce que je sais qu’elle a un pouvoir de transformation exceptionnel.
Et toi tu l’as approchée ? Tu fais quoi pour l’apprivoiser ?